Je suis presque certain que si un sondage était réalisé aujourd’hui pour déterminer quel pourcentage de la population est terrifié par la perspective d’un dérèglement climatique dangereux, le nombre serait assez faible. Beaucoup de gens se diraient probablement inquiets, quelques-uns admettraient probablement être sérieusement inquiets, mais terrifiés, non, pas beaucoup. Et c’est un problème.
Ces dernières années, certains membres de la communauté des climatologues, et beaucoup d’autres, ont qualifié de colporteurs de « pornographie » climatique ceux qui ont mis en évidence la menace colossale que représente le réchauffement de la planète. Un éminent scientifique spécialiste du climat a même averti que nous devrions éviter d’utiliser des termes tels que « choquant », « terrifiant » ou « dévastateur » pour décrire l’effondrement du climat, de peur d’induire « le déni, la paralysie et l’apathie ».
C’est une erreur à tant de niveaux qu’il est difficile de savoir par où commencer. La vérité est que nous sommes au cœur d’une situation de crise qui pourrait déchirer la société et l’économie mondiales en l’espace de quelques décennies. Le fait de minimiser la situation désastreuse dans laquelle nous nous trouvons ne nous aidera en rien à faire face à l’urgence climatique. Au lieu de cela, elle favorisera – inévitablement – l’idée que la situation n’est pas si mauvaise. Il se peut donc qu’il fasse un peu plus chaud et que le temps soit un peu plus sauvage, mais rien ne nous empêche de nous en accommoder. C’est, bien entendu, totalement faux. Notre climat, autrefois stable, se désintègre rapidement, et personne ne sera à l’abri du chaos qui en résultera dans les décennies à venir.
Il est désormais pratiquement impossible de rester de ce côté de la ligne de démarcation des 1,5 °C, mais si nous voulons avoir la moindre chance de freiner l’emballement du réchauffement, nous devons prendre des mesures radicales maintenant, dès aujourd’hui. Et le seul moyen d’y parvenir est de faire tomber les écailles des yeux des gens afin qu’ils découvrent le terrible avenir dans lequel leurs enfants vieilliront et leurs petits-enfants grandiront. Pour cela, les scientifiques du climat doivent dire les choses telles qu’elles sont, sans détour ni censure.
En d’autres termes, nous devons faire régner la terreur. La peur peut, dans certaines circonstances, paralyser, mais le plus souvent elle pousse à l’action. Aujourd’hui, il suffit de regarder la réponse du peuple ukrainien à l’invasion russe pour s’en convaincre. La peur fait monter le taux d’adrénaline, ce qui déclenche une envie innée et irrépressible de se battre. Et jamais nous n’avons eu autant besoin d’une telle contrainte qu’aujourd’hui. Dire les choses telles qu’elles sont n’est pas être alarmiste, loin de là. En effet, la question de savoir s’il est encore possible de brosser un tableau plus sombre que la réalité à venir est discutable.
Le fait est que si nous voulons voir des populations entières se soulever et exiger des mesures sérieuses, ce dont nous avons besoin – et bientôt -, il faut que tout le monde ait peur, vraiment peur, et non pas qu’il soit légèrement inquiet. Comme me l’a récemment écrit Rupert Read, philosophe et militant pour le climat, « le malheur est bon ». Comme le souligne M. Read dans son livre à paraître, Why Climate Breakdown Matters, nous ne sommes pas des spectateurs qui assistent à la catastrophe climatique, nous sommes des agents. Nous avons la capacité et la possibilité de nous engager, de faire la différence, mais cela ne se produira que si suffisamment de personnes comprennent l’ampleur du problème et sont suffisamment effrayées pour agir. Ce ne sera toutefois jamais le cas tant que les climatologues et ceux qui travaillent sur les conséquences du dérèglement climatique contourneront la question et limiteront leur langage. À bien des égards, cela ne vaut guère mieux que de nier l’existence du réchauffement planétaire, en agissant comme on le fait pour apaiser les inquiétudes concernant les effets de la dégradation du climat dans les décennies à venir.
Ne tournons pas autour du pot : le dérèglement climatique est une catastrophe. Bientôt, elle sera omniprésente, affectant tous les habitants de la planète et s’insinuant dans tous les aspects de notre vie. Une seule statistique le montre bien : d’ici à 2050, l’augmentation de la population mondiale entraînera une hausse de moitié de la demande alimentaire, alors que, dans le même temps, les rendements agricoles pourraient diminuer d’un tiers. Si l’on fait abstraction de tous les autres effets du réchauffement planétaire, cela suffit à provoquer une famine généralisée et des troubles civils généralisés.
Alors, ayez peur, soyez terrifiés. Mais il ne faut pas que cela alimente l’inertie. Acceptez vos peurs et utilisez-les pour stimuler l’action. Si vous en ressentez le besoin, bloquez une raffinerie de pétrole ou collez-vous à une autoroute. Même si cela n’est pas à votre goût, il y a encore beaucoup de choses à faire. Conduisez une voiture électrique ou, mieux encore, utilisez les transports publics, la marche ou le vélo. Arrêter de prendre l’avion, passer à un tarif d’énergie verte, manger moins de viande. Faites connaître la catastrophe climatique à votre famille, vos amis et vos collègues, faites pression sur vos représentants élus au niveau local et national, et utilisez votre vote à bon escient pour mettre au pouvoir un gouvernement qui – en ce qui concerne la crise climatique – joint le geste à la parole.
Bill McGuire est professeur émérite de risques géophysiques et climatiques à l’UCL. Il a contribué au rapport SREX 2012 du GIEC sur le changement climatique et les événements extrêmes. Son blog Cool Earth est disponible sur Substack. Le nouveau livre de Bill McGuire, Hothouse Earth : an Inhabitant’s Guide, est publié par Icon Books en août.